Annulation d'un arrêté d'OQTF en tant qu'il désigne le pays de destination

Décision de justice
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Vu la procédure suivante :

 

Par une requête enregistrée le 6 novembre 2015, M. Z., représenté par Me Djinderedjian, demande au Tribunal :

 

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 7 octobre 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays de destination ;

 

2°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte journalière de 100 euros ;

 

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

 

M. Z. soutient :

- que la décision attaquée méconnaît l’article 29 du règlement communautaire n°604/2013 dans la mesure où la France est responsable de l’examen de sa demande d’asile ;

- qu’elle méconnaît l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

- qu’elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation ;

- que la décision fixant le pays de destination méconnaît l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

 

Par un mémoire enregistré le 4 janvier 2016, le préfet de la Haute-Savoie conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

 

Par une décision du 6 janvier 2016 le président du bureau d’aide juridictionnelle a admis M. Z. au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale.

 

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

- l’accord entre la Confédération suisse, l’Union européenne et la Communauté européenne sur l’association de la Confédération suisse à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen, signé le 26 octobre 2004 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;

- le code de justice administrative.

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

 

Ont été entendus, au cours de l’audience publique du 19 janvier 2016 :

- le rapport de Mme Permingeat, conseiller ;

- et les conclusions de Mme Triolet, rapporteur public.

 

1. Considérant que M. Z., ressortissant du Kosovo, déclare être entré en France en juin 2013 ; que l’enregistrement de sa demande d’asile a révélé que, par application du règlement communautaire n° 604/2013 susvisé, son examen relevait de la compétence de la Hongrie ; que les autorités hongroises ayant accepté sa prise en charge, il a fait l’objet, le 30 septembre 2013, d’un arrêté de réadmission valable jusqu’en janvier 2014 ; que l’intéressé ayant toutefois fui en Suisse, cet arrêté a été prolongé jusqu’en janvier 2015 ; qu’entretemps, M. Z. a déposé une demande d’asile en Suisse ; qu’il s’est vu remettre, dans ce pays, un permis N valant autorisation provisoire de séjour ; qu’il a néanmoins été interpellé sur le territoire français, le 7 octobre 2015 ; que les autorités suisses ont rejeté la demande de réadmission présentée par les autorités françaises ; que par arrêté du 7 octobre 2015, alors que l’examen de la demande d’asile de M.  Z. était toujours pendant, le préfet de la Haute-Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours sous peine d’être reconduit d’office vers son pays d’origine ou tout autre pays où il serait légalement admissible, après expiration dudit délai ; que, dans la présente instance, M. Z. en demande l’annulation pour excès de pouvoir ;

 

Sur les conclusions à fin d’annulation pour excès de pouvoir :

 

En ce qui concerne l’obligation de quitter le territoire français :

 

2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 21.1 du règlement n°604/2013 susvisé : «  L’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre État membre est responsable de l’examen de cette demande peut (…) requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur » ; qu’aux termes de l’article 29.1 du même texte : « Le transfert du demandeur (…) de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue (…) au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée (…) » ; qu’aux termes de l’article 29.2 du même texte : « Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté (…) à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite » ;

 

3. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 17.1 du même règlement : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité » ;

 

4. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que dès lors qu’un Etat partie au dispositif de Schengen accepte d’examiner une demande d’asile, il en devient responsable indépendamment du fait qu’il aurait appartenu à un autre Etat d’en connaître, par application des critères de compétence énoncés par le règlement n°604/2013 ;

 

5. Considérant qu’en l’espèce, la Confédération helvétique ayant accepté d’instruire la demande d’asile présentée par M. Z., ainsi qu’en atteste la délivrance, à l’intéressé, d’un permis N valant autorisation provisoire de séjour valable jusqu’au 1er novembre 2015, c’est à cet Etat qu’il appartient de connaître de sa demande, sans égard à ce que, sans cette prise en charge par l’Etat suisse, la France en aurait été responsable à la date de la décision attaquée, par application des dispositions précitées de l’article 29.2 du règlement n° 604/2013, du fait de la caducité de l’arrêté de remise du requérant aux autorités hongroises ; qu’il suit de là que M.  Z., qui ne peut pas se prévaloir d’un droit au séjour en tant que demandeur d’asile en France, n’est pas fondé à soutenir que la décision l’obligeant à quitter le territoire national a été prise en méconnaissance de l’article 29.2 dudit règlement ;

 

6. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) » ; que M. Z., qui déclare vivre en Suisse et dont le frère, présent en France, se trouve dans la même situation administrative que la sienne, n’est pas fondé à soutenir que la décision d’éloignement attaquée méconnaît les stipulations précitées ; que cette décision n’est pas davantage entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;

 

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède et par les motifs invoqués, que les conclusions à fin d’annulation pour excès de pouvoir de la décision du préfet de la Haute-Savoie du 7 octobre 2015 faisant obligation à M. Z. de quitter le territoire français doivent être rejetées ;

 

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

 

8. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; que M. Z. ayant présenté une demande d’asile sur laquelle aucun des Etats successivement saisis n’a encore statué, mais qu’aucun d’eux n’a estimé abusive ou dilatoire, il en découle qu’il ne saurait être regardé, à la date de l’arrêté attaqué, comme n’encourant pas de risques contraires à l’article 3 précité en cas de retour au Kosovo et alors qu’il n’est pas allégué qu’il serait admissible dans un autre Etat ; que, par suite, la désignation du pays d’éloignement, prise en méconnaissance des stipulations précitées, doit être annulée ;

 

Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :

 

9. Considérant que le présent jugement implique seulement, par application de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, qu’il soit enjoint au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer la situation de M. Z. dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;

 

Sur les conclusions présentées au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

 

10. Considérant qu’aux termes de l’article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991, dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2014 : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie (…) qui perd son procès (…) à payer à l’avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, une somme qu’il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l’Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s’il n'avait pas eu cette aide. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. / Si l’avocat du bénéficiaire de l’aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l’Etat. S'il n’en recouvre qu’une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l’Etat » ; que M. Z. ayant été admis à l’aide juridictionnelle, il y a lieu, en application de ces dispositions et dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 800 euros à verser à Me Djinderedjian au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens ;

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : L’arrêté du 7 octobre 2015 pris par le préfet de la Haute-Savoie est annulé en ce qu’il désigne le pays à destination duquel M. Z. sera éloigné à l’expiration du délai de 30 jours qui lui a été imparti pour quitter le territoire français.

 

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer la situation de M. Z. dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

 

Article 3 : L’Etat versera à Me Djinderedjian la somme de 800 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

 

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.