Annulation d'un arrêté d'OQTF parent d'enfant français mineur résidant en France

Décision de justice
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Vu la procédure suivante :

 

Dans sa requête enregistrée le 7 août 2015, Mme N., représentée par Me Blanc, demande au tribunal :

 

            1°) d’annuler l’arrêté n° OQTF/74/S/2015/119 du 2 juin 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a retiré la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » en qualité de parent d’enfant français mineur résidant en France qu’il lui avait délivrée pour la période du                 24 décembre 2014 au 23 décembre 2015, a refusé de l’admettre au séjour en régularisation, l’a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le Cameroun comme pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d’office  ;

 

            2°) d’enjoindre au Préfet de la Haute-Savoie de la rétablir dans son droit au séjour et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour ;

 

            3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

            Mme N. soutient :

            - que l’arrêté attaqué est entaché d’un vice de procédure, faute de consultation de la commission du titre de séjour ;

            - que le retrait de la carte de séjour temporaire délivrée de plein droit méconnaît le 6° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

              - que les analyses génétiques sur lesquelles s’appuie le préfet pour remettre en cause le lien de paternité de son enfant ont été pratiquées en méconnaissance des garanties du code civil et du code de procédure pénale, et lui sont inopposables ;

              - qu’aucune intention frauduleuse n’a entaché la reconnaissance de paternité de son fils ;

              - qu’il méconnait le 7° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, dès lors qu’elle séjourne et travaille en France depuis cinq ans.

 

            Par mémoire enregistré le 9 octobre 2015, le préfet de la Haute-Savoie conclut au rejet de la requête.

            Le préfet de la Haute-Savoie fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

 

Vu

- la décision attaquée et les autres pièces du dossier ;

- le code civil ;

            - le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

            - le code de justice administrative.

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

 

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 27 octobre 2015, le rapport de M. Arbarétaz et les conclusions de Mme Triolet, rapporteur public.

 

 

Sur les conclusions à fin d’annulation :

 

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « I - L’autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (…) lorsqu’il se trouve dans l’un des cas suivants : (…) 3° Si la délivrance (…) d’un titre de séjour a été refusé à l’étranger ou si le titre qui lui avait été délivré lui a été retiré. / (…) / L’obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l’étranger est renvoyé en cas d’exécution d’office. II – Pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification (…) »;

 

2.Considérant que Mme N., ressortissante camerounaise, est entrée en mai 2010 en France où elle a séjourné sans titre ; qu’ayant donné naissance à son fils, reconnu par un ressortissant français, une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » lui a été délivrée en qualité de parent d’enfant français mineur résidant en France pour la période du 24 décembre 2014 au 23 décembre 2015 ; que, cependant, au cours d’une instance Mme N. devant la juridiction judiciaire, des analyses génétiques ont été ordonnées qui tendent à remettre en cause la paternité biologique de l’enfant ; que le préfet de la Haute-Savoie a, par l’arrêté attaqué, retiré le titre de séjour et refusé de régulariser Mme N., prescrit son éloignement dans les trente jours et désigné le pays de renvoi ;

 

            3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « (…) la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit : (…) 6° A l’étranger (…) qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France (…) » ;

            4. Considérant que la reconnaissance d’un enfant est opposable aux tiers, en tant qu’elle établit un lien de filiation, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s’impose à l’administration tant qu’une action en contestation de filiation n’a pas abouti ; que par exception à ce principe, il appartient au préfet, s’il est établi que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l’obtention d’un titre de séjour sur le fondement du 6° de l’article L. 313-11 précité du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de faire échec à cette fraude et de refuser la délivrance ou de retirer le titre, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n’est pas acquise, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir ; que comme toute exception, celle-ci est d’interprétation stricte ;

 

            5. Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des éléments recueillis au cours de l’enquête judiciaire diligentée à l’initiative du Parquet, que le ressortissant français qui a reconnu le fils de Mme N. ait agi afin de permettre à celle-ci d’être admise au séjour en qualité de parent d’enfant français mineur résidant en France ni même qu’il ne se soit pas cru, alors et de bonne foi, le père de cet enfant tandis que Mme N. a déclaré que les circonstances de sa vie privée ne lui permettaient pas de déterminer avec certitude l’identité du père ; que si les tests génétiques tendent à exclure toute filiation biologique entre le père selon l’état civil et le fils de Mme N., ce résultat ne fait ressortir, non plus que les circonstances qui viennent d’être rappelées, d’intention frauduleuse ; qu’il suit de là que la situation de Mme N. ne relève pas de l’exception envisagée au considérant 4 et que le préfet de la Haute-Savoie ne pouvait écarter les mentions de l’état civil de l’enfant qui, à la date de la décision attaquée et à celle du présent jugement, attribuent la paternité à un ressortissant français ;

 

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme N. est fondée à soutenir que, selon l’état civil, elle est mère d’un enfant français, fils d’un père français, et que c’est en méconnaissance des dispositions précitées du 6° de l’article L. 313-11 et de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que la carte de séjour temporaire qu’elle détenait lui a été retirée et qu’une mesure d’éloignement a été prescrite ; qu’en conséquence, l’arrêté n° OQTF/74/S/2015/119 du 2 juin 2015 doit être annulé ;

 

Sur les conclusions à fin d’injonction :

 

7. Considérant qu’eu égard aux motifs sur lesquels il repose, le présent jugement implique nécessairement au sens de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, que le préfet de la Haute-Savoie remette Mme N. en possession de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » qu’elle détenait jusqu’au 23 décembre 2015 ; qu’il y a lieu de l’y enjoindre et de lui impartir un délai de huit jours à compter de la notification du présent jugement ;

 

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, une somme de 800 euros au titre des frais exposés par Mme N. et non compris dans les dépens ;

 

                                              D E C I D E :

 

Article 1er : L’arrêté n° OQTF/74/S/2015/119 du 2 juin 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a retiré à Mme N. la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » en qualité de parent d’enfant français mineur résidant en France de Français qu’il lui avait délivrée pour la période du 24 décembre 2014 au 23 décembre 2015, l’a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le Cameroun comme pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d’office, est annulé.

 

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de remettre Mme N. en possession de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » qu’elle détenait jusqu’au 23 décembre 2015, dans le délai de huit jours à compter de la notification du présent jugement.

 

Article 3 : L’Etat versera à Mme N. une somme de 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.