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Vu la requête enregistrée le 14 février 2014, présentée pour Mme Laurie X, par Me Fiat ;
Mme X demande au Tribunal :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 novembre 2013 par laquelle le président du conseil général de la Haute-Savoie a refusé de prendre en charge les frais de déplacement qu’elle a exposés pour se rendre à l’IUT de Grenoble où elle poursuit ses études supérieures ;
2°) d’enjoindre au président du conseil général de la Haute-Savoie, soit de prendre en charge ses frais de déplacement entre Saint-Pierre-en-Faucigny et l’IUT de Grenoble à compter de la rentrée universitaire de septembre, soit de lui rembourser la somme de 7 565,71 euros et de prendre en charge ses frais futurs ;
3°) de mettre à la charge du département de la Haute-Savoie une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mme X soutient :
- que la décision en litige est illégale en ce qu’elle retire les décisions précédentes qui lui accordaient le remboursement de ses frais et étaient, à ce titre, créatrices de droit ;
- qu’elle méconnaît l’article R. 213-16 du code de l’éducation et est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;
Vu la décision attaquée ;
Vu le mémoire enregistré 31 mars 2014 par lequel le département de la Haute-Savoie conclut au rejet de la requête ;
Le département de la Haute-Savoie fait valoir :
- que la requête est irrecevable, car tardive ;
- que sa décision du 21 mai 2013 n’était pas créatrice de droit ;
- que Mme X peut prétendre à la prise en charge de ses trajets entre Grenoble et Saint-Pierre-en-Faucigny au titre des frais de transport scolaire ;
Vu le mémoire enregistré le 12 mai 2014 par lequel Mme X conclut aux mêmes fins que sa requête et demande, en outre, l’annulation du refus implicite opposé à son recours gracieux par les mêmes moyens tout en soutenant, en outre, que sa requête est recevable ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l’action sociale et des familles ;
Vu le code de l’éducation ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 1er juillet 2014 :
- le rapport de Mme Permingeat, conseiller ;
- les conclusions de M. Vial-Pailler, rapporteur public ;
- et les observations de Me Tissot, pour Mme X ;
1. Considérant que Mme X, étudiante handicapée, s’est inscrite à la rentrée universitaire 2013-2014 à l’IUT de Grenoble ; que, du fait de son état de santé, elle est contrainte de loger en semaine dans une résidence universitaire située à Saint-Martin d’Hères, à proximité de cet institut, mais retourne en fin de semaine et durant les vacances universitaires chez ses parents qui habitent à Saint-Pierre en Faucigny, dans le département de la Haute-Savoie, où elle soutient rester domiciliée ; qu’elle a demandé au département de la Haute-Savoie la prise en charge de ses frais de déplacement sur le fondement de l’article R. 213-16 du code de l’éducation ; que, par décision du 27 novembre 2013, le président du conseil général de la Haute-Savoie a rejeté sa demande au motif que son domicile étant désormais fixé à Saint-Martin d’Hères, d’une part, ses frais de transport entre le domicile de ses parents et l’IUT de Grenoble n’entraient pas dans le champ de l’article R. 213-16 du code de l’éducation et ne pouvaient être pris en charge qu’au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH) dont elle bénéficie et, d’autre part, que la prise en charge de ses frais de transport entre son nouveau domicile de Saint-Martin-d’Hères et l’IUT de Grenoble incombait au département de l’Isère ; que Mme X a formé un recours gracieux contre cette décision, le 27 janvier 2014 ; que, dans le cadre de la présente instance, elle demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 27 novembre 2013, ensemble du refus implicite opposé à son recours gracieux ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » ;
3. Considérant que si la décision en litige du 27 novembre 2013 a été notifiée à Mme X le 3 décembre 2013, cette dernière a, comme indiqué précédemment, formé un recours gracieux par courrier notifié au département de la Haute-Savoie, le 30 janvier 2014 ; que, par suite, le délai de recours contentieux de deux mois arrivait à échéance à l’expiration d’un nouveau délai de deux mois ayant couru à compter de la naissance du refus implicite que le département de la Haute-Savoie a opposé à ce recours gracieux ; que la requête enregistrée le 14 février 2014 n’étant pas tardive, la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
4. Considérant qu’aux termes de l’article R. 213-16 du code de l’éducation : « Les frais de déplacement exposés par les étudiants handicapés qui fréquentent un des établissements d’enseignement supérieur relevant de la tutelle du ministère de l’éducation nationale (…) et qui ne peuvent utiliser les moyens de transport en commun, en raison de la gravité de leur handicap, médicalement établie, sont pris en charge par le département du domicile des intéressés » ; qu’aux termes de l’article 102 du code civil : « Le domicile de tout Français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement » ; et qu’aux termes de l’article 103 du même code : « Le changement de domicile s’opérera par le fait d’une habitation réelle dans un autre lieu, joint à l’intention d’y fixer son principal établissement » ;
5. Considérant, en premier lieu, que, dans le silence de l’article R. 213-16 du code de l’éducation précité, il y a lieu d’interpréter la notion de « domicile » à la lumière des articles 102 et 103 du code civil comme étant le lieu où l’étudiant handicapé a fixé son principal établissement ; qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que, malgré l’obligation dans laquelle Mme X se trouve de résider, au cours de la semaine, à proximité de l’IUT de Grenoble, elle n’a pas entendu y établir le lieu de son principal établissement qui demeure fixé dans le département de la Haute-Savoie, chez ses parents dont elle reste financièrement dépendante, où elle retourne en fin de semaine et durant les vacances scolaires et où une partie de sa prise en charge médicale est organisée ; qu’il suit de là que le domicile de Mme X reste situé dans le département de la Haute-Savoie ;
6. Considérant, en second lieu, que les « frais de déplacement » que l’article R. 213 -16 du code de l’éducation met à la charge du département du domicile de l’étudiant handicapé doivent être compris comme englobant tous les frais de transport que ce dernier est amené à supporter pour poursuivre ses études dans un établissement placé sous tutelle du ministère de l’éducation nationale, expression qui englobe les services centraux de l’Etat exerçant un contrôle pédagogique sur les programmes d’enseignement supérieur visés par les articles L. 611-1 et suivants du code de l’éducation, que ces services relèvent directement du ministre de l’éducation nationale ou d’un ministre dont les attributions sont limitées à la recherche ; qu’il revient, dès lors, au département de la Haute-Savoie de prendre en charge l’ensemble des frais exposés par l’intéressée pour mener à bien ses études, lesquels comprennent non seulement ses frais de déplacement de son domicile de Saint-Pierre-en-Faucigny à l’IUT de Grenoble, mais également ses frais de déplacement de sa résidence universitaire à l’IUT de Grenoble, quand bien même l’IUT de Grenoble relève-t-il de la tutelle du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le président du conseil général de la Haute-Savoie, en estimant que le domicile de Mme X est fixé dans le département de l’Isère et qu’en conséquence il n’appartient pas au département de la Haute-Savoie de prendre en charge les trajets qu’elle effectue d’une part entre Saint-Pierre-en-Faucigny et l’IUT de Grenoble et, d’autre part, au sein de l’agglomération grenobloise, entre sa résidence universitaire et l’IUT a méconnu les dispositions précitée de l’article R. 213-16 du code de l’éducation ; que Mme X est, par suite, fondée à demander l’annulation de la décision du 27 novembre 2013 en litige, ensemble du refus opposé à son recours gracieux ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
8. Considérant que Mme X demande au Tribunal d’enjoindre au département de la Haute-Savoie de prendre en charge ses frais de déplacement hebdomadaires entre Saint-Pierre-en-Faucigny et l’IUT de Grenoble à compter de la rentrée universitaire de septembre 2013 ; que l’annulation des décisions en litige implique nécessairement, par application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, qu’il soit enjoint au président du conseil général de la Haute-Savoie de prendre en charge lesdits frais, dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du département de la Haute-Savoie une somme de 1 000 euros au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 27 novembre 2013 par laquelle le président du conseil général de la Haute-Savoie a refusé de prendre en charge les frais de déplacement que Mme X a exposés pour se rendre à l’IUT de Grenoble et le rejet de son recours gracieux sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au président du conseil général de la Haute-Savoie de prendre en charge, dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement, les frais de déplacement hebdomadaires exposés par Mme X entre Saint-Pierre-en-Faucigny et l’IUT de Grenoble à compter de la rentrée universitaire de septembre 2013.
Article 3 : Le département de la Haute-Savoie versera à Mme X la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.