Annulation de la suspension et du retrait d'un agrément d'assistante familiale

Décision de justice
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Vu I°) la requête enregistrée le 26 avril 2012 sous le n° 1202293, présentée pour Mme Nadia X, par la SCP  F. Cevaer-M. Desilets-F. Robbe ;

 

Mme X demande au Tribunal :

 

1°) d’annuler la décision du 20 mars 2012 par laquelle le président du conseil général de la Drôme a prononcé la suspension de son agrément d’assistante familiale à compter du 20 mars 2012 pour une durée de quatre mois ;

 

2°) de mettre à la charge du département de la Drôme la somme de 1 500 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

 

Mme X soutient :

- que la décision attaquée est entachée d’incompétence de son signataire ;

- que le principe du contradictoire n’a pas été respecté ;

- qu’elle a satisfait aux dispositions de l’article R. 421-9 du code de l’action sociale et des familles ; que le département de la Drôme ne pouvait se fonder sur ce motif pour suspendre son agrément ;

- qu’elle n’a commis aucun défaut de surveillance de l’enfant confié, ni aucune faute professionnelle ;

- qu’elle a fait l’objet de harcèlement moral de la part du département de la Drôme pour avoir contesté le licenciement dont elle avait été l’objet le 25 août 2011 ;

- que les conditions dans lesquelles le retrait de l’agrément est intervenu sont irrégulières ;

 

Vu la décision attaquée ;

 

Vu le mémoire enregistré le 24 mai 2013 par lequel le département de la Drôme conclut au rejet de la requête ;

Le département de la Drôme fait valoir :

- que l’auteur de la décision justifie d’une délégation de signature opposable ;

- qu’eu égard à la situation d’urgence, le président du conseil général de la Drôme n’était pas tenu de mettre en œuvre la procédure du contradictoire et de recueillir les observations de l’intéressée ;

- qu’il était fondé à retirer à l’intéressée son agrément dès lors que plusieurs faits permettaient d’établir que les conditions d’octroi de l’agrément n’étaient plus remplies ;

- que l’autorité administrative n’a commis aucune erreur d’appréciation en suspendant l’agrément ;

- que l’intéressée n’a pas fait l’objet de harcèlement moral ; qu’en tout état de cause, elle ne peut invoquer ce moyen devant le tribunal de céans ;

- qu’à la date de la décision attaquée, l’intéressée n’a pas fait l’objet d’un retrait d’agrément ; que le moyen est inopérant ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu II) la requête enregistrée le 20 novembre 2012 sous le n° 1206027, présentée pour Mme Nadia X, Me Chlala-Planel ;

 

Mme X demande au Tribunal :

 

1°) d’annuler la décision du 25 juin 2012 par laquelle le président du conseil général de la Drôme lui a retiré l’agrément d’assistante familiale, ensemble le rejet de son recours gracieux ;

 

2°) d’enjoindre au président du conseil général de la Drôme :

-                               de lui restituer son agrément d’assistante familiale pour l’accueil de mineurs et de la réintégrer dans ses fonctions à compter du 25 juin 2012, sous astreinte journalière de 150 euros, subsidiairement, de réexaminer sa situation ;

-                               de reconstituer ses droits à pension à compter du 20 mai 2012 ;

 

3°) de mettre à la charge du département de la Drôme une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

Mme X soutient :

- que le rejet de son recours gracieux est insuffisamment motivé ;

- que la décision attaquée est entachée d’inexactitude de ses motifs ; qu’elle n’avait notamment pas été informée de la situation médicale du mineur par l’administration lors de sa prise en charge ;

- qu’elle n’a commis aucune faute professionnelle grave ;

- qu’elle n’a pas cherché à obtenir un témoignage de l’adolescent par tromperie ou ruse ; qu’elle l’a rencontré pour lui rendre ses affaires et lui prêter de l’argent avant de savoir que son agrément était suspendu ;

- que la décision attaquée est entachée d’erreur d’appréciation ;

 

Vu la décision attaquée ;

 

Vu le mémoire enregistré le 7 février 2014 par lequel le département de la Drôme conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme X une somme de 300 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

Le département de la Drôme fait valoir :

- que la décision attaquée est suffisamment motivée au sens de l’article L. 421-6 du code de l’action sociale et des familles ; que la décision de rejet du recours gracieux n’avait pas à faire l’objet d’une motivation particulière, ni même par référence, puisqu’elle confirme la décision attaquée qui est dûment motivée ;

- que la décision ne repose pas sur des motifs inexacts ;

- que l’intéressée a été informée dès le 21 mars 2012 que l’agrément était suspendu ; que c’est en toute connaissance de cause qu’elle a rencontré l’adolescent aux fins d’obtenir un témoignage de sa part pour la disculper ;

- que les conditions mentionnées à l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles n’étant plus réunies, le président du conseil général a pu retirer l’agrément sans méconnaître ces dispositions et sans entacher sa décision d’erreur d’appréciation ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le 2° de son article 41 ;

 

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

 

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;

 

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 modifiée ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 28 octobre 2014 ;

- le rapport de Mme Letellier, rapporteur ;

-  et les conclusions de M. Vial-Pailler, rapporteur public ;

 

 

1. Considérant que les requêtes n°s 1202293 et 1206027 présentées pour Mme X présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul jugement ;

 

2. Considérant que Mme X, assistante familiale, a obtenu un agrément en 2006 lui permettant d’accueillir à son domicile à titre permanent des enfants mineurs et de jeunes adultes ; que par décisions du 20 mars 2012 et du 25 juin 2012, le président du conseil général de la Drôme a suspendu son agrément puis, après avoir consulté la commission consultative paritaire départementale, le lui a retiré ; que Mme X demande l’annulation de ces deux décisions, ainsi que de la décision du 26 septembre 2012 rejetant son recours gracieux ;

 

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles : « L’agrément nécessaire pour exercer la profession (…) d’assistant familial est délivré par le président du conseil général (…) /  (…) / L’agrément est accordé (…) si les conditions d’accueil garantissent la sécurité, la santé et l’épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 421-6 du même code : « (…) Si les conditions de l’agrément cessent d’être remplies, le président du conseil général peut, après avis d’une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l’agrément ou procéder à son retrait. En cas d’urgence, le président du conseil général peut suspendre l’agrément. Tant que l’agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié » et qu’aux termes de l’article R. 421-24 de ce code : « Le président du conseil général informe sans délai la commission consultative paritaire départementale de toute décision de suspension d’agrément prise en application de l’article L. 421-6. / La décision de suspension d’agrément fixe la durée pour laquelle elle est prise qui ne peut en aucun cas excéder une période de quatre mois » ;

 

Sur les conclusions dirigées contre la suspension de l’agrément :

 

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;

 

4. Considérant qu’en vertu des dispositions précitées, la suspension de l’agrément emporte de plein droit pour l’assistant familial qui en fait l’objet, l’impossibilité d’accueillir tout enfant et de continuer à accueillir les enfants qui lui sont confiés ; que ses effets excédant ceux d’une mesure conservatoire, elle ne peut intervenir sans que l’intéressé ait été mis à même de connaître les griefs que l’administration se propose de retenir et de faire valoir au moins verbalement ses observations, sauf impossibilité matérielle absolue qui découlerait de l’urgence appréciée au cas d’espèce ;

 

5. Considérant qu’il est constant que préalablement à la suspension de son agrément, Mme X n’a pas été mise à même de prendre connaissance puis de contester les motifs sur lesquels devait reposer la mesure ; que le département de la Drôme n’invoque aucune circonstance particulière qui aurait fait obstacle au respect du principe du contradictoire ; que Mme X est, par suite, fondée à demander l’annulation de la décision du 20 mars 2012 ;

 

Sur les conclusions aux fins d’annulation du retrait de l’agrément et de la décision rejetant le recours gracieux :

 

              Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;

 

  6. Considérant que pour retirer l’agrément de Mme X, le président du conseil général de la Drôme s’est fondé sur les motifs tirés, d’une part, du non respect de l’obligation d’informer les services départementaux de l’accueil d’un mineur confié par un tiers, d’autre part, du défaut de surveillance du mineur accueilli qui a pu prendre seul son traitement médicamenteux en le détournant de son usage, enfin, du comportement manifesté par la requérante envers le même mineur, postérieurement aux faits qui ont motivé la suspension de l’agrément ;

 

7. Considérant qu’en permettant de restreindre ou de retirer l’agrément si les conditions garantissant la sécurité, la santé et l’épanouissement des mineurs ou des jeunes majeurs accueillis sont compromises, les dispositions précitées des articles L. 421-3 et L. 421-6 du code de l’action sociale et des familles investissent le président du conseil général non d’un pouvoir de sanction mais de celui de prévenir tout atteinte - ou toute nouvelle atteinte - à la sécurité des enfants lorsque l’existence de risques est portée à sa connaissance ; qu’il lui appartient, en conséquence, d’analyser la cause de ces risques et de prendre les mesures proportionnées à leur prévention ; que ce n’est qu’en cas d’impossibilité de rétablir les conditions d’accueil définies par l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles qu’il peut retirer l’agrément ;

 

8. Considérant que si la tentative de suicide du mineur de 16 ans que Mme X accueillait à son domicile a été rendue possible par l’absorption de médicaments qui n’avaient pas été retirés à la victime après la prise des doses médicalement prescrites, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ne pourrait être remédié au défaut de surveillance des mineurs accueillis au foyer de la requérante, tel que cet accident l’a révélé, par une autre mesure que le retrait d’agrément ; qu’il en va, a fortiori, de même du non-respect de l’obligation administrative de signalement d’accueil de mineur et du comportement imputé à l’intéressée après l’accident, alors que plus aucun enfant ne lui était confié ;

 

9. Considérant qu’il suit de là qu’en retirant à Mme X son agrément d’assistante familiale, le président du conseil général de la Drôme a méconnu les dispositions précitées des articles L. 421-3 et L. 421-6 du code de l’action sociale et des familles ; que, par suite, la décision du 25 juin 2012 doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, la décision du 26 septembre 2012 portant rejet du recours gracieux ;

 

Sur les conclusions à fin d’injonction :

                                 

10. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure (…) » ;

 

11. Considérant, en premier lieu, que l’annulation de la décision retirant l’agrément d’assistante familiale de Mme X a pour effet de rendre de plein droit vigueur à l’agrément dont elle était titulaire ; qu’en conséquence, le présent jugement n’appelle pas de mesures tendant à ce qu’il soit enjoint au président du conseil général de la Drôme de le lui restituer ;

 

12. Considérant, en second lieu, que Mme X n’étant pas employée par le département de la Drôme qui n’était pas susceptible de cotiser pour son compte à un régime d’assurance vieillesse, le présent jugement ne peut impliquer nécessairement, au sens de l’article L. 911-1 précité du code de justice administrative, que le président du conseil général reconstitue ses droits à pension à compter du 20 mai 2012 ; que les conclusions présentées à cette fin doivent être rejetées ;

 

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

13. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du département de la Drôme la somme de 1 000 euros au titre frais exposés par Mme X et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, les conclusions présentées par le département de la Drôme, partie perdante, doivent être rejetées ;

 

 

 

 

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : Les décisions du 20 mars 2012 et du 25 juin 2012 par lesquelles le président du conseil général de la Drôme a respectivement suspendu puis retiré l’agrément d’assistante familiale de Mme X, ensemble la décision du 26 septembre 2012 portant rejet du recours gracieux, sont annulées.

 

Article 2 : Le département de la Drôme versera la somme de 1 000 euros à Mme X au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.  

 

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.