Condamnation de l'Etat en réparation du préjudice causé par la minoration des dotations de compensation au titre des années 2012,2013 et 2014 du produit de la tax...

Décision de justice
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Vu la procédure suivante :

 

Par une requête et un mémoire enregistré le 26 décembre 2014 et le 4 mai 2015, la communauté de communes du Pays roussillonnais, représentée par Me Petit, demande au tribunal :

 

1°) de condamner  l'Etat à lui payer la somme de 1 950 837 euros assortie des intérêts au taux légal, en réparation de son préjudice causé par la minoration des dotations de compensation au titre respectivement des années 2012, 2013 et 2014 du produit de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) ;

 

2°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 2000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

 

Elle soutient que :

- le contentieux est lié par la demande préalable présentée le 26 décembre 2014 qui a été implicitement rejetée ;

- le préfet de l’Isère n’établit pas avoir notifié les décisions pour les années 2012 et 2013 avec mention des voies et délais de recours ;

- le préfet de l’Isère n’est pas fondé à lui opposer la jurisprudence du 2 mai 1959 du Conseil d'Etat Ministère des finances c/ M. Lafon ; le changement des circonstances de droit, et notamment l’annulation de la circulaire du 5 avril 2013 par le Conseil d’Etat, fait obstacle, en premier lieu, à l’application de cette jurisprudence ; en deuxième lieu, l’action en responsabilité se fonde sur la décision d’attribution de la dotation de compensation qui ne doit pas être regardée comme une décision purement pécuniaire dès lors qu’elle empiète sur la compétence exclusive du pouvoir législatif ; le présent recours n’est pas, en troisième lieu, un simple recours pour excès de pouvoir mais constitue un recours indemnitaire, assorti des intérêts au taux légal, qui ne se fonde pas exclusivement sur l’illégalité fautive commise par le préfet mais également sur sa propre faute consistant à appliquer des circulaires ministérielles illégales ; ce recours se fonde, à titre subsidiaire, sur la responsabilité quasi contractuelle de l’Etat au titre de l’enrichissement sans cause et de la répétition de l’indu ; ces différents fondements ne sont pas invocables dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir ; le principe de sécurité juridique opposé par le préfet de l’Isère  n’est pas, en outre, invocable en l’espèce ;   

- à titre plus subsidiaire, les notifications des dotations de compensation présentent un caractère inexistant car, en procédant à ces prélèvements, le préfet de l’Isère a empiété sur la compétence du législateur en matière de ressources de collectivités territoriales ; les décisions ainsi prises par le préfet de l’Isère doivent être regardées comme nulles et non avenues en raison de la gravité du vice qui les affecte ; les conclusions sont ainsi recevables sans condition de délai ;

- les décisions contestées sont les notifications des dotations de compensation ; le mécanisme mis en place pour compenser le transfert du produit de la TASCOM de l’Etat à ses établissements publics n’est applicable qu’au titre de la seule année 2011 ; ainsi, pour les années 2012, 2013, et 2014, en l'absence de fondement, l'Etat ne pouvait pas légalement minorer le montant de la dotation de compensation, calculé conformément aux dispositions de l'article  L.5211-28-1 du code général des collectivités territoriales, du montant de la TASCOM perçu par l'Etat sur le territoire de cet EPCI en 2010 ; en exécutant les circulaires illégales du ministre, le préfet de l’Isère a commis une faute  de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;

- son préjudice annuel s'élève à la somme de 650 279 euros.

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2015, le préfet de l’Isère conclut au rejet de la requête.

 

Il soutient que :

- le recours est irrecevable en application de la jurisprudence du 2 mai 1959 du Conseil d'Etat Ministère des finances c/ M. Lafon ;

- les requêtes indemnitaires en plein contentieux hors délais peuvent être considérées comme irrecevables au nom du principe de sécurité juridique, consacré principe général du droit communautaire ; pour ces motifs, la requête est donc irrecevable ;

- le législateur a entendu reconduire la compensation Tascom au-delà de l’année 2011 ; il n’a pas, dès lors, méconnu le paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

 

Vu les autres pièces du dossier.

 

Vu :

- le code général des collectivités territoriales,

- la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;

- la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ;

- le code de justice administrative.

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

 

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Ban,

- les conclusions de M. Morel, rapporteur public ;

- les observations de Me Dumas, représentant la communauté de communes du Pays roussillonnais.

 

Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires :

 

  1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » ;

 

  1. Considérant que la communauté de communes du Pays roussillonnais fait valoir que le préfet de l’Isère ne lui a pas notifié les montants de la dotation de compensation qui lui ont été accordés pour les années 2012 et 2013 ; que le préfet de l’Isère ne produit ni les décisions portant attribution de ces dotations au titre des années 2012 et 2013 ni aucune pièce de nature à établir qu’il a notifié ces décisions à la communauté de communes du Pays roussillonnais ; que, par ailleurs, la communauté de communes verse au débat les « fiches individuelles DGCL » datées des 4 juillet 2012 et 19 juillet 2013 qui indiquent le montant total de la dotation ainsi que ses modalités de calcul ; que la requérante précise également que ces fiches lui « sont transmises chaque année par l’Etat » ; que, toutefois, il résulte de l’instruction que ces fiches ne comportent pas la mention des voies et délais de recours ; que, dès lors, si la communauté requérante doit être réputée avoir eu connaissance des décisions d’attribution de dotations de compensation au titre des années 2012 et 2013, elle ne peut pas être regardée, en tout état de cause, comme ayant eu connaissance des voies et délais de recours courant contre ces décisions ; que, par suite, le préfet de l’Isère n’établit pas que ses décisions attributives de la dotation de compensation au titre des années 2012 et 2013 sont devenues définitives par expiration du délai de recours contentieux ;

 

  1. Considérant que le préfet de l’Isère verse aux débats sa décision du 19 mai 2014 qui accorde à la communauté de communes du Pays roussillonnais une somme de 2 726 396 euros au titre de la dotation de compensation de l’année 2014 sans produire l’avis de réception de cette décision ni même préciser sa date de notification ; que la requérante ne conteste pas avoir reçu notification de cette décision ; que, dans ces conditions, si la communauté de communes du Pays roussillonnais doit être regardée avoir eu connaissance de cette décision et des voies et délais de recours, aucune pièce du dossier ne permet toutefois de déterminer la date à laquelle elle a eu nécessairement connaissance de cette décision et de ses voies et délais de recours et ainsi de vérifier qu’à la date du 26 décembre 2014, date d’enregistrement de sa requête, la décision du 19 mai 2014 était devenue définitive ;

 

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit aux points 1 à 3 que les décisions du préfet de l’Isère portant attribution des dotations de compensation au titre des années 2012, 2013 et 2014 n’étaient pas devenues définitives à la date à laquelle la communauté de communes du Pays roussillonnais a présenté sa requête ; que, par suite, le préfet de l’Isère, qui ne peut pas utilement invoquer le principe de sécurité juridique reconnu par le droit de l'Union européenne, n’est pas fondé à soutenir que la communauté de communes du Pays roussillonnais n’est pas recevable, par la voie du recours indemnitaire, à présenter des conclusions tendant à la récupération des sommes déduites des dotations de compensation qu’elle a perçues au titre des années 2012, 2013 en se fondant sur l'illégalité des décisions préfectorales lui ayant attribué ces dotations ;

 

Sur le bien fondé des conclusions indemnitaires :

 

  1. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 applicable avant l’intervention de l’article 114 de la loi du 29 décembre 2014 de Finances pour 2015  : « Le montant de la compensation prévue au D de l'article 44 de la loi de finances pour 1999 n°98-1266 du 30 décembre 1998 ou de la dotation de compensation prévue à l'article L. 5211-28-1 du code général des collectivités territoriales est diminué en 2011 d'un montant égal, pour chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, au produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçu par l'État en 2010 sur le territoire de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale » ;  

 

  1. Considérant qu’il résulte des termes mêmes des dispositions du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 que les mécanismes de diminution et de prélèvement portant sur les dotations perçues par les EPCI, mis en place pour compenser le transfert du produit de la taxe sur les surfaces commerciales de l’Etat à ces établissements publics, ne sont applicables qu’au titre de la seule année 2011 ; qu’aucune disposition du code général des collectivités territoriales alors applicable, ni aucun autre texte ne prévoit que ce mécanisme s’applique aux EPCI au titre des années 2012 et 2013 et 2014 ; que, dès lors, minorant les dotations de compensation des années 2012, 2013 et 2014 du produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçu par l’Etat sur le territoire de cette collectivité en 2010, le préfet de l’Isère a commis une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l’Etat ; que la communauté de communes du Pays roussillonnais est, par suite, en droit d'obtenir réparation du préjudice qui résulte de l'application de ces décisions illégales ;

 

Sur le préjudice :

 

  1. Considérant que le préjudice subi par la communauté de communes du Pays roussillonnais correspond à la différence entre, d’une part, le montant de la dotation de compensation qu’elle a perçu au titre des années 2012, 2013 et 2014 et, d’autre part, le montant qu'elle aurait dû légalement percevoir au titre de chacune de ces années ; qu’il résulte de l’instruction que ces dotations de compensation ont été chacune minorées de la somme de 650 279 euros correspondant au montant de la TASCOM perçue par l'Etat en 2010 ; que, dès lors, le préjudice subi par la requérante s’élève à la somme totale de 1 950 837 euros ;

 

Sur les intérêts :

 

  1. Considérant que la communauté de communes du Pays roussillonnais a droit aux intérêts de la somme de 1 950 837 euros à compter du 26 décembre 2014, date d’enregistrement de sa requête au greffe du tribunal ;

 

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

  1. Considérant qu’il y a lieu  de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1200 euros au titre des frais exposés par la communauté de communes du Pays roussillonnais et non compris dans les dépens ;

 

 

 

 

D É C I D E  :

 

 

Article 1er :

L’Etat est condamné à payer à la communauté de communes du Pays roussillonnais la somme de 1 950 837 assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2014.

 

 

Article 2 :

L’Etat versera à la communauté de communes du Pays roussillonnais une somme de 1200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.