Condamnation de la commune de la Rochette à verser la somme de 150 000 euros pour résiliation d'un marché de matériel de reprographie

Décision de justice
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Vu la requête enregistrée le 24 janvier 2012 présenté pour la société Locam S.A.S. dont le siège est 29 rue Léon Blum à Saint-Etienne (42048), par Me Riva ;

 

La société Locam S.A.S. demande au Tribunal :

 

1°) de condamner la commune de La Rochette à lui verser :

         - une somme de 306 441,41 euros, outre pénalité de retard et intérêts de droit, en paiement des arriérés de loyers et de l’indemnité contractuelle de résiliation des contrats de location de matériel de reprographie ;

         - une indemnité de 1 500 euros au titre du préjudice que lui a causé le comportement fautif de la commune ;

 

2°) d’enjoindre à la commune de La Rochette de lui restituer le matériel loué dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte journalière de 50 euros ;

 

3°) de mettre à la charge de la commune de La Rochette la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

La société Locam S.A.S. soutient :

- que la résiliation, par la commune de La Rochette, des contrats de location qui les liaient est fautive à défaut, pour cette dernière, de justifier d’un motif d’intérêt général ;

- que les contrats en cause étant valides, elle est fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la commune ;

- qu’elle est en droit de demander la condamnation de la commune au paiement des loyers restés impayés augmentés des intérêts de retard ainsi que des indemnités contractuelles prévues en cas de résiliation anticipée, pour un montant total de 306 441,41 euros ;

- qu’elle est également fondée à demander la condamnation de la commune au paiement d’une indemnité de 1 500 euros en réparation du préjudice que lui a causé l’inexécution fautive, par cette dernière, de ses obligations contractuelles ;

 

Vu le mémoire enregistré le 21 mai 2012, présenté pour la commune de La Rochette, par Me Vignot ;

 

La commune de La Rochette conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Locam S.A.S. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

La commune de La Rochette fait valoir :

- que la requête est irrecevable, car tardive ;

- qu’elle ne s’est pas contractuellement engagée à l’égard de la requérante ;

- que les conventions en litige ont été résiliées et qu’elle ne peut être condamnée au paiement de quelque somme que ce soit sur la base d’un contrat résilié ;

- que les conventions en litige étaient nulles en raison des illégalités entachant les modalités de leur passation ainsi que des clauses de tacite reconduction qu’elles comprenaient ;

- que, compte tenu de l’illégalité de ces conventions, leur résiliation était d’intérêt général ;

- qu’en tout état de cause, les somme demandées par la société requérante sont excessives et doivent être réduites ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 16 octobre 2012, par lequel la société Locam S.A.S. conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et demande au Tribunal :

 

1°) la capitalisation des intérêts ;

 

2°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de La Rochette au paiement d’une somme de 277 580,45 euros, outre intérêts de droit capitalisés, correspondant aux seuls loyers demeurés impayés et loyers restant dus jusqu’au terme initialement prévu des contrats en litige ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner la commune au paiement d’une somme de 176 948,43 euros, outre intérêts de droit capitalisés, en paiement du matériel qu’elle a acquis ;

 

La société Locam S.A.S. soutient, en outre :

- que c’est bien avec elle que la commune a conclu les contrats de location en litige ;

- que sa requête n’est pas tardive ;

 

Vu le mémoire enregistré le 15 mars 2013, par lequel la commune de La Rochette conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;

 

Vu le mémoire enregistré le 23 octobre 2013, par lequel la société Locam S.A.S. conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu le code civil ;

 

Vu le code des marchés publics ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 septembre 2014 :

- le rapport de Mme Permingeat, conseiller ;

- et les conclusions de M. Vial-Pailler, rapporteur public ;

 

 

1. Considérant que la commune de La Rochette a conclu trois contrats de location de matériels de reprographie le 24 septembre 2009, le 6 novembre 2009 et le 10 février 2010 ; que le 12 janvier 2011, elle a décidé unilatéralement de les résilier pour motif d’intérêt général à compter du 1er avril 2011 et a cessé de verser les loyers correspondants à compter de la même date ; que dans la présente requête, la société Locam S.A.S. demande la condamnation de la commune de La Rochette au paiement des loyers échus postérieurement à la résiliation et au paiement de l’indemnité de résiliation ainsi que l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi du fait des démarches qu’elle a dues entreprendre pour lui imposer de respecter ses obligations ;

 

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

 

2. Considérant que, la commune de La Rochette ne se prévalant d’aucune clause qui imposerait aux parties aux contrats de recourir à des modalités de règlement des différends préalables à la saisine du juge, elle n’est pas fondée à opposer le défaut de liaison du présent litige, les dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’ayant pas vocation à s’appliquer aux contrats ;

 

3. Considérant par ailleurs que, si une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles et si elle doit exercer ce recours dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation,  la société Locam S.A.S.   ne demande pas au Tribunal d’ordonner la reprise de ses relations contractuelles avec la commune de La Rochette ; qu’il suit de là que le délai de deux mois enfermant un tel recours ne lui est pas opposable ; que la commune de La Rochette n’est dès lors pas fondée à s’en prévaloir pour soutenir que la requête serait tardive ;

 

Sur l’existence et la validité de liens contractuels entre la commune de La Rochette et la société requérante :

 

4. Considérant qu’il résulte des contrats produits, que c’est bien avec la société Locam S.A.S., et non avec la société Riso, que la commune de La Rochette a conclu les contrats de location en litige ; que la société Riso n’est en effet intervenue qu’en qualité de fournisseur du matériel loué par la requérante à la commune qui n’est, dès lors, pas fondée à opposer l’absence de liens contractuels ;

 

5. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;

 

6. Considérant que si les marchés en cause, compte tenu de leur montant global, auraient dû être conclus selon une procédure de mise en concurrence formalisée et comportent des clauses de tacite reconduction qui sont, de ce fait, illégales, la seule méconnaissance de cette procédure de passation ne fait pas obstacle à leur exécution ; qu’il suit de là que les illégalités invoquées par la commune de La Rochette et entachant les contrats de location qu’elle a conclus avec la société Locam S.A.S. ne sauraient être regardées comme des vices d’une gravité telle que le Tribunal doive écarter ces contrats ; que le présent litige, qui intéresse le décompte de résiliation de marchés de services, au sens de l’article 1er du code des marchés publics, doit être réglé selon les clauses de ces conventions, opposables aux deux parties qui les ont signées ;

 

Sur l’indemnité de résiliation :

 

En ce qui concerne la condamnation de la commune au paiement des loyers impayés :

 

7. Considérant qu’aux termes des articles 13 des conventions en litige, leur résiliation contractuelle intervient de plein droit « (…) si le locataire ne respecte pas l’un de ses engagements envers la société LOCAM SAS (…) » ; que cette résiliation contraint alors le locataire à : « 2) (…) verser au loueur une somme égale au montant des loyers impayés au jour de la résiliation majorée d’une clause pénale de 10 % » ; que ces dispositions sont complétées par les articles 4 des mêmes conventions qui stipulent que : « (…) Sans préjudice de la résiliation, tout loyer impayé entraînera le versement d’un intérêt de retard calculé au taux d’intérêt légal applicable en France, majoré de 5 points plus taxes. Indépendamment des intérêts de retard, chaque impayé donnera lieu à une indemnité forfaitaire d’un montant minimum de 16 euros et d’un montant maximum de 10 % du montant de l’impayé plus taxes (…) » ; qu’en ce qu’elle concerne « les loyers impayés », cette dernière clause s’entend nécessairement des échéances qui n’auraient pas été honorées alors que les marchés de location étaient encore en vigueur ;

 

8. Considérant qu’il est constant que le maire de La Rochette a résilié les marchés de location des matériels de reprographie à la fin du premier trimestre 2011 ; que, par suite et à l’exception de l’indemnisation des conséquences de cette résiliation, la commune de La Rochette était, à compter du 1er avril 2011, dégagée de ses obligations contractuelles ; qu’aucun loyer n’étant échu après le premier trimestre 2011, la société Locam S.A.S. ne détient aucune créance relative à des loyers échus au deuxième trimestre 2011 ; que, par suite, la demande qu’elle a présentée de ce chef doit être rejetée ;

 

En ce qui concerne la condamnation de la commune au paiement des indemnités contractuelles pour résiliation anticipée :

 

9. Considérant qu’aux termes de l’article 13 des conventions en litige : « le locataire devra verser au loueur (…) une somme égale à la totalité des loyers restant à courir jusqu’à la fin du contrat telle que prévue à l’origine majorée d’une clause pénale de 10 % (sans préjudice de tous dommages et intérêts qu’il pourrait devoir). Les sommes réglées postérieurement à la résiliation du contrat seront affectées sur les sommes dues et n’emporteront pas novation de la résiliation » ;

 

10. Considérant qu’en exécution de cette stipulation, la société Locam S.A.S., qui demande le paiement de 18 loyers au titre des contrats n° 731867 et 747826 et de 19 loyers au titre du contrat n° 765735, augmentés de la clause pénale de 10 %, aurait droit à une somme totale de 246 753,27 euros ;

 

11. Considérant toutefois qu’en vertu des principes dont s’inspire l’article 1152 du code civil, il est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer les indemnités prévues en cas d’application de toute clause pénale d’un contrat si ces indemnités, indépendamment des motifs de la résiliation, atteignent un montant manifestement excessif au regard du préjudice réellement subi par le cocontractant de la personne publique ;

 

12. Considérant que la commune de La Rochette fait valoir que la mise en œuvre des stipulations précitées de l’article 13 aurait pour conséquence de l’obliger à verser à son cocontractant une indemnité supérieure de 10 % au montant des loyers dont elle se serait acquittée si elle avait exécuté les contrats en cause jusqu’à leur terme ; qu’une telle indemnité serait, en outre, sans proportion avec le préjudice subi par le prestataire qui percevrait le produit majoré de la location de matériels qu’il n’aurait plus à entretenir et dont il retrouverait la disponibilité alors même qu’en violation du contrat, la commune lui a imposé de les enlever à sa charge ; qu’il suit de là que la commune de La Rochette est fondée à soutenir que l’indemnité pour résiliation anticipée instituée par ces stipulations est manifestement excessive et à demander au juge d’en modérer le montant ; que, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une exacte appréciation du montant de l’indemnité forfaitaire de résiliation en le limitant à la somme de 150 000 euros ; 

 

En ce qui concerne l’indemnisation du préjudice né du refus de la commune de La Rochette de remplir ses obligations contractuelles :

 

13. Considérant que le préjudice que la société Locam S.A.S. soutient avoir subi du fait des démarches qu’elle a dû entreprendre est intégralement réparé par le versement de l’indemnité contractuelle de résiliation qui lui est allouée ; que les conclusions susmentionnées doivent, dès lors, être rejetées ;

 

 

 

 

En ce qui concerne la condamnation et les intérêts :

 

14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de La Rochette doit être condamnée à verser à la société Locam S.A.S. une somme totale de 150 000 euros ;

 

              15. Considérant qu’aux termes de l’article 100 du code des marchés publics : « En cas de résiliation du marché ouvrant droit à indemnisation, si les parties ne parviennent pas à un accord dans un délai de six mois à compter de la date de la résiliation sur le montant de l'indemnité, le pouvoir adjudicateur verse au titulaire, qui en fait la demande, le montant qu'il a proposé » ; qu’aucun accord n’étant intervenu entre les parties avant l’expiration du délai de six mois institué par ces dispositions, les intérêts moratoires dus par la commune de La Rochette sur la somme de 150 000 euros ont commencé à courir six mois après le 1er avril 2011, date de la résiliation des conventions en litige, soit à compter du 1er octobre 2011 ; qu’en vertu de l’article 1154 du code civil, les intérêts seront capitalisés au 1er octobre 2012, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d’intérêts, ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

 

Sur le surplus des conclusions tendant au règlement de la résiliation :

 

16. Considérant qu’aux termes de l’article 16 des conventions conclues entre la commune de La Rochette et la société Locam S.A.S. : « (…) en cas de résiliation du contrat (…) la restitution sera faite à ses frais par le locataire (y compris les coûts du démontage, transport et formalités administratives) au siège social du loueur » ; qu’en application de ces stipulations, il y a lieu de prescrire à la commune de La Rochette de restituer sans délais à la société Locam S.A.S. le matériel loué ou, à défaut, de rembourser à cette société les frais d’enlèvement du matériel qu’elle serait amenée à exposer ;

 

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

17. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Locam S.A.S. ; que les conclusions de la commune de La Rochette, partie perdante, doivent être rejetées ;

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : La commune de La Rochette est condamnée à verser à la société Locam S.A.S.  la somme de 150 000 euros qui portera intérêts moratoires à compter du 1er octobre 2011. Les intérêts seront capitalisés au 1er octobre 2012, puis à chaque échéance annuelle.

 

Article 2 : La commune de La Rochette restituera sans délais à la société Locam S.A.S. le matériel de reprographie mis à sa disposition en exécution des marchés résiliés ou, à défaut, remboursera à ladite société les frais d’enlèvement des matériels.

 

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.