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Vu la requête, enregistrée le 22 décembre 2011, présentée pour M. Philippe X, par Me Brunet-Fuchs, avocat ; M. X demande au tribunal ;
1°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles il a été assujetti pour la période allant du 16 septembre 2005 au 31 décembre 2009, pour un montant total de 76 502 euros ;
2°) de lui accorder le bénéfice du sursis de paiement de l’article L. 277 du livre des procédures fiscales ;
M. X soutient :
-que l’activité de micro-kinésithérapie n’est pas soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors qu’il s’agit d’une activité paramédicale réglementée au sens de l’article 261 du code général des impôts ;
-que l’article 261 du code précité, qui prévoit une exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour certains professions paramédicales réglementées, ne limite pas son champ d’application aux actes remboursés par la sécurité sociale ;
-que la liste énumérée par l’article 7 du décret de 1996 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute détermine seulement les actes qui peuvent être exercés par un masseur kinésithérapeute sur prescription médicale ; que cette liste n’est pas exhaustive ;
-que le ministère de la santé a reconnu, dans un courrier du 20 octobre 1997 de M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat à la santé, que la micro-kinésithérapie correspond à un massage au sens de l’article 3 du décret de 1996 ;
-que le conseil national de l’ordre des masseurs a admis, dans son bulletin n°16 du mois de novembre 2010, que la micro-kinésithérapie est dans le domaine de la masso-kinésithérapie et que les professionnels qui la pratiquent doivent être inscrits à l’ordre, faute de quoi ils se trouveraient en infraction avec le code de la santé publique et en situation d’exercice illégal de la profession ;
Vu la décision du 21 octobre 2011 par laquelle la direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie a statué sur la réclamation préalable présentée par M. X par courrier du 25 août 2011 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2012, présenté par la direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie, qui conclut au rejet de la requête ;
L’administration fiscale fait valoir :
-que M. X exerce en tant que masseur-kinésithérapeute spécialisé dans la micro-kinésithérapie ;
-qu’il s’agit d’une technique manuelle qui, selon le ministre de tutelle, ne fait pas partie des actes réglementés de la profession de masseur-kinésithérapeute ;
-que si dans le courrier du 20 octobre 1997 de M. Bernard Kouchner dont se prévaut l’intéressé, il est indiqué que la micro-kinésithérapie est une technique de massage au sens de l’article 3 du décret du 8 octobre 1996, le courrier indique également que cette technique n’est pas mentionnée à l’article 7 de ce décret, qui donne une liste exhaustive des techniques que peuvent utiliser les masseurs kinésithérapeutes et qui sont réglementées ;
-qu’au surplus, la micro-kinésithérapie est une technique récente qui n’est pas à ce jour reconnue, car elle n’a pas fait l’objet d’une évaluation scientifique et que son utilisation engage la responsabilité de celui qui l’exerce ;
-que le critère de non-remboursement des actes pratiqués par la sécurité sociale n’est pas à lui seul déterminant pour apprécier le bien-fondé d’une exonération de taxe sur la valeur ajoutée au sens de l’article 261 du code général des impôts ;
Vu le mémoire, enregistré le 21 février 2013, présenté pour M. X, qui présente les mêmes conclusions, par les mêmes moyens et demande au surplus que soit mis à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. X soutient en outre :
-que l’article 7 du décret de 1996 a trait aux massages en général ; que dès lors que la micro-kinésithérapie est une technique particulière de massage, elle doit être exonérée de taxe sur la valeur ajoutée ;
-que dès lors que la loi n°2004-806 du 9 août 2004 est venue encadrer la profession de masseur-kinésithérapeute en la dotant d’un ordre national des masseurs kinésithérapeutes, c’est que cette profession détient une crédibilité scientifique ;
-qu’à titre de comparaison, l’administration fiscale de la Savoie a accordé une exonération de taxe sur la valeur ajoutée en 1997 à un micro-kinésithérapeute au motif qu’il pratiquait le massage ;
Vu l'ordonnance en date du 16 juillet 2014 fixant la clôture d'instruction au 25 août 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 juillet 2014, présenté par la direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie, qui persiste dans ses précédentes conclusions à fin de rejet de la requête ;
L’administration fiscale fait valoir :
-que dans un avis des 20 et 21 mars 2013, l’Ordre national des masseurs kinésithérapeutes a indiqué que la micro-kinésithérapie constituait une méthode non éprouvée et qui ne bénéfice d’aucune reconnaissance légale, qui fait appel à des éléments physiopathologiques non démontrés tels que la « mémorisation tissulaire de l’agression » ou « les mécanismes d’auto-correction » et qu’elle ne fait pas l’objet d’une reconnaissance par le conseil national de cet ordre ;
-que M. X ne peut se prévaloir d’un dégrèvement décidé en 1997 par l’administration fiscale de la Savoie ;
Vu la pièce complémentaire, enregistrée le 6 août 2014, produite pour M. X, non communiquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le décret n° 96-879 du 8 octobre 1996 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute qui a abrogé le décret n° 85-918 du 26 août 1985 ;
Vu la loi n°2004-806 du 8 août 2004 ;
Vu le décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 janvier 2015 :
- le rapport de Mme Paillet-Augey ;
- les conclusions de M. Journé, rapporteur public ;
1.Considérant que M. X, masseur-kinésithérapeute diplômé spécialisé en micro-kinésithérapie, exerce sa profession à Annecy (Haute-Savoie) ; que se prévalant des dispositions de l'article 261‑4‑1° du code général des impôts, l’intéressé s'est abstenu, pour la période du 16 septembre 2005 au 31 décembre 2009, d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée sur les honoraires perçus au titre de son activité professionnelle de micro-kinésithérapie ; qu’à la suite d’une vérification de comptabilité de son activité individuelle qui a porté, en taxe sur la valeur ajoutée, sur cette période, l’administration fiscale a remis en cause le bénéfice de cette exonération et lui a notifié à ce titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour un montant de 76 502 euros ; que M. X en demande la décharge ;
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts : « Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ... les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel » ; qu'aux termes de l'article 261 du même code : « Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : ... 4 ...1° les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales » ; que le législateur a entendu exonérer les actes régulièrement dispensés par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées par une disposition législative ou par un texte pris en application d’une telle disposition ;
3. Considérant que les soins que les masseurs-kinésithérapeutes sont habilités à dispenser dans l'exercice de leur profession, telle que celle-ci est réglementée par les articles L. 487 et suivants du Code de la santé publique, entrent dans le champ d'application de l'exonération prévue par les dispositions précitées, alors même que ces actes ne sont pas effectués sur ordonnance médicale, lorsque les soins dispensés s'inscrivent dans le cadre de l'exercice de leur profession réglementée ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article R. 4321-1 du code de santé publique, tel qu’il est issu du décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la santé publique, qui codifie l’article 1er du décret n° 96-876 du 8 octobre 1996 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute qui a abrogé le décret n° 85-918 du 26 août 1985 : « La masso-kinésithérapie consiste en des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation, qui ont pour but de prévenir l'altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et, lorsqu'elles sont altérées, de les rétablir ou d'y suppléer. Ils sont adaptés à l'évolution des sciences et des techniques » ; qu’en vertu de l’article R. 4321- 3 du même code, : « On entend par massage toute manoeuvre externe, réalisée sur les tissus, dans un but thérapeutique ou non, de façon manuelle ou par l'intermédiaire d'appareils autres que les appareils d'électrothérapie, avec ou sans l'aide de produits, qui comporte une mobilisation ou une stimulation méthodique, mécanique ou réflexe de ces tissus » ; qu’au titre de l’article R. 4321-7 dudit code : « Pour la mise en oeuvre des traitements mentionnés à l'article R. 4321-5, le masseur-kinésithérapeute est habilité à utiliser les techniques et à réaliser les actes suivants : 1° Massages, notamment le drainage lymphatique manuel ; 2° Postures et actes de mobilisation articulaire mentionnés à l'article R. 4321-4 ; 3° Mobilisation manuelle de toutes articulations, à l'exclusion des manoeuvres de force, notamment des manipulations vertébrales et des réductions de déplacement osseux ; 4° Etirements musculo-tendineux ; 5° Mécanothérapie ; 6° Réalisation et application de contentions souples, adhésives ou non, d'appareils temporaires de rééducation et d'appareils de postures ; 7° Relaxation neuromusculaire ; 8° Electro-physiothérapie (…) ; 9° Autres techniques de physiothérapie : » ;
5. Considérant qu’il appartient au juge de l’impôt, au vu de l’instruction, de déterminer si le contribuable remplit les conditions pour bénéficier de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée dont il demande le bénéfice ;
6. Considérant que M. X soutient que les actes de micro-kinésithérapie qu’il pratique constituent une technique particulière de massage, qui doit par suite, bénéficier d’une exonération de taxe sur la valeur ajoutée ; qu’il se prévaut d’un courrier du 20 octobre 1997 de M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat à la santé, qui indique que la micro-kinésithérapie correspond à un massage au sens de l’article 3 du décret précité de 1996, aujourd’hui codifié ; qu’en défense, l’administration fiscale soutient au contraire que ce même courrier relève également que la micro-kinésithérapie n’est pas mentionnée par l’article 7 de ce même décret listant l’ensemble des techniques que peuvent utiliser les masseurs-kinésithérapeutes et qu’au surplus, cette pratique ne bénéficie d’aucune reconnaissance légale, ainsi qu’en a attesté le conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes dans un avis des 20 et 21 mars 2013 relatif à la micro-kinésithérapie ;
7. Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment des documents versés par M. X au débat, non sérieusement contestés en défense, que la technique de micro-kinésithrapie se définit comme « une technique micropalpatoire manuelle consistant à effectuer manuellement des actes stimulant les mécanismes d’autocorrection afin d’établir la dégradation des tissus et d’en rétabli les fonctions » et que « les mains du praticien mobilisent et stimulent les différents tissus en fonction du type d’agression » ; qu’il s’ensuit que la micro-kinésitéraphie constitue une technique de massage palpatoire au sens du 1° de l’article R. 4321-7 dudit code précité, sans que puisse être utilement opposée la circonstance que cette technique n’ait pas encore donné lieu à une évaluation scientifique ; que, dans ces conditions, et alors qu’il n’est pas contesté que M. X, masseur-kinésithérapeute diplômé, pratique la micro-kinésithérapie, les actes professionnels que ce dernier a pratiqué à ce titre sont au nombre des soins que les masseurs-kinésithérapeutes sont habilités à dispenser dans le cadre de la réglementation de sa profession ; qu’ainsi, ils entrent dans le champ d’application de l’exonération prévue par les dispositions précitées de l’article 261 4-1° du code général des impôts ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquelles il a été assujetti pour la période allant du 16 septembre 2005 au 31 décembre 2009, pour un montant total de 76 502 euros ;
Sur les conclusions tendant au sursis de paiement :
9. Considérant qu’aux termes de l’article L. 277 du livre des procédures fiscales : « Le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge est autorisé, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. L'exigibilité de la créance et la prescription de l'action en recouvrement sont suspendues jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent (…) » ;
10. Considérant que, dès lors qu’il est statué au fond par le présent jugement, les conclusions aux fins de sursis de paiement présentées par M. X dans sa requête sont devenues sans objet ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés en cours d’instance et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : M. X est déchargé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui sont réclamés par avis de mise en recouvrement du 4 août 2011, pour un montant de 76 502 euros.
Article 2 : L’Etat versera à M. X la somme de 1 200 (mille deux cents) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Philippe X et à la direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 5 janvier 2015