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Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 20 mai 2015 et un mémoire enregistré le 2 septembre 2015, Mme D., représentée par Me Lamamra, demande au Tribunal :
1°) de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 445 645,84 euros, outre intérêts de droit capitalisés, en réparation des préjudices qu’elle a subis suite à l’illégalité fautive des décisions par lesquelles le président du conseil général a mis fin à l’accueil de deux enfants qu’elle recevait en tant qu’assistante familiale, puis l’a licenciée ;
2°) de mettre à la charge du département de la Drôme une somme de 2 400 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme D. soutient :
- qu’elle a établi l’illégalité de la décision du 27 mars 2014 dans l’instance n°1403309 ;
- que la décision du 2 juillet 2012 par laquelle les deux enfants qu’elle accueillait lui ont été retirés est entachée d’un vice de procédure ;
- que cette décision repose sur une erreur matérielle ;
- qu’elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;
- qu’elle procède d’un détournement de pouvoir ;
- qu’elle a subi un préjudice financier s’élevant à 420 645.84 euros et un préjudice moral de 25 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 30 juin 2015, le département de la Drôme conclut au rejet de la requête et demande qu’une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme D. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le département de la Drôme fait valoir :
- que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés ;
- qu’en conséquence, il n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité ;
- que Mme D. n’établit pas la réalité des préjudices financier et moral qu’elle soutient avoir subis et le montant des indemnités qu’elle demande est excessif.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code civil ;
- le code de l’action sociale et des familles ;
- le décret n° 2012-823 du 28 juin 2012 portant relèvement du salaire minimum de croissance ;
- le décret n° 2012-1429 du 19 décembre 2012 portant relèvement du salaire minimum de croissance ;
- le décret n° 2013-1190 du 19 décembre 2013 portant relèvement du salaire minimum de croissance ;
- le décret n° 2014-1569 du 22 décembre 2014 portant relèvement du salaire minimum de croissance ;
- le décret n° 2015-1688 du 17 décembre 2015 portant relèvement du salaire minimum de croissance ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus, au cours de l’audience publique du 8 mars 2016 :
- le rapport de Mme Permingeat, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Triolet, rapporteur public ;
- les observations de Me Lamamra pour Mme D. ;
- et les observations de M. Henry pour le département de la Drôme.
Le département de la Drôme a présenté une note en délibéré enregistrée le 8 mars 2016.
Mme D. a présenté une note en délibéré enregistrée le 11 mars 2016.
1. Considérant que Mme D. était employée par le département de la Drôme depuis août 2002 en qualité d’assistante familiale ; que suite à un changement intervenu dans sa situation familiale, le président du conseil général de la Drôme a, le 2 juillet 2012, décidé du retrait des deux enfants qu’elle accueillait puis, par décision du 27 mars 2014, de son licenciement ; que, dans la présente instance, Mme D. demande la condamnation du département à l’indemniser des préjudices matériel et moral que l’illégalité de ces deux décisions lui a causés ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la responsabilité du département de la Drôme :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles : « Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille (…), confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 421-2 du même code : « L’assistant familial est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon permanente des mineurs (…) à son domicile. Son activité s’insère dans un dispositif de protection de l’enfance, un dispositif médico-social ou un service d’accueil familial thérapeutique. Il exerce sa profession comme salarié de personnes morales de droit public (…) après avoir été agréé à cet effet » ; qu’aux termes de l’article L. 421-16 de ce code : « Il est conclu entre l’assistant familial et son employeur, pour chaque mineur accueilli, un contrat d’accueil annexé au contrat de travail » ; qu’il résulte de ces dispositions que l’assistant familial travaillant pour le compte du département assure la mise en œuvre de la protection des mineurs en difficultés ; que les mineurs qui lui sont ainsi confiés ne peuvent lui être retirés que si les conditions de l’accueil compromettent effectivement leur développement physique, affectif, intellectuel et social ;
3. Considérant que par sa décision du 2 juillet 2012, le président du conseil général de la Drôme a retiré du domicile de Mme D. les deux mineurs qu’elle accueillait au motif que la nouvelle situation personnelle de la requérante engendrait une « confusion » dans l’esprit de ces mineurs ; que les deux rapports de juin et octobre 2012 invoqués par le département - qui, au demeurant, ont été rédigés en vue non pas d’apprécier la nécessité d’une mesure de retrait mais du renouvellement d’agrément de Mme D. – ne décrivent aucune conséquence tangible des changements intervenus au sein du foyer de la requérante sur l’équilibre de l’enfant de 19 mois qu’elle accueillait ; que, s’agissant de la jeune fille de 12 ans, ces rapports, s’ils font état d’une réaction négative manifestée à l’arrivée de la nouvelle compagne de Mme D. et décrivent, pour celui d’octobre 2012, un ébranlement des repères, ne remettent pas en cause les qualités éducatives de Mme D. et ne préconisent pas un changement de famille d’accueil pour résoudre ce conflit dont il n’est pas établi qu’il excédait ceux qui jalonnent habituellement toute vie de famille et tout parcours éducatif ; qu’enfin et alors qu’aucun élément ne permettait d’établir que les conditions d’accueil de cette jeune fille compromettaient son développement physique, affectif, intellectuel et social, l’autorité compétente n’a pas envisagé les conséquences de son brusque retrait du milieu dans lequel elle vivait et s’épanouissait depuis huit années ;
4. Considérant qu’alors même qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision du 2 juillet 2012 ait été dictée par des considérations discriminatoires, il résulte de ce qui précède que Mme D. est fondée à soutenir que le président du conseil général de la Drôme a entaché la décision en litige d’erreur manifeste l’appréciation de l’intérêt des deux mineurs et, partant, a commis une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité du département ; qu’il y a lieu d’entrer en voie de condamnation ;
En ce qui concerne le préjudice patrimonial :
5. Considérant que le retrait des deux enfants accueillis par Mme D. a pris effet à compter du 12 août et du 20 août 2012 ; que l’intéressée est dès lors fondée à soutenir qu’elle a été privée d’une chance sérieuse d’accueillir, pour le compte du département, deux enfants de façon permanente et continue au cours de la période comprise entre le 1er septembre 2012 et le 22 mars 2016, date de lecture du jugement n° 1403309 par lequel le Tribunal a annulé la décision du 27 mars 2014 prononçant son licenciement ; que passé cette date, Mme D. ayant en effet la possibilité de se voir à nouveau confier des enfants par le département, le préjudice patrimonial qu’elle invoque n’est qu’incertain ; que le préjudice financier subi par la requérante doit donc être calculé sur la base de 43 mois ;
6. Considérant que, selon l’article 5 de son contrat d’embauche, la requérante aurait perçu une rémunération mensuelle, par enfant accueilli à titre permanent, égale à cent quatrefois le taux horaire du SMIC, sans qu’il y ait lieu d’y inclure les indemnités d’entretien ou de vacances qui compensent des charges liées à l’exercice effectif des fonctions ; que Mme D. aurait ainsi perçu entre le 1er septembre 2012 et le 22 mars 2016, compte tenu des différentes revalorisations du SMIC intervenues au cours de cette période, 45 283 euros bruts par enfant accueilli, soit un total de 85 166 euros bruts ; qu’il convient toutefois de déduire de cette somme, d’une part, les charges sociales qu’elle aurait acquittées et qui peuvent être fixées forfaitairement à 30 %, soit la somme de 25 550 euros et, d’autre part, les traitements et indemnités, dont l’indemnité de licenciement, perçus par l’intéressée au cours de la même période qui s’élèvent à 49 250 euros, son licenciement n’ayant pas pris effet comme elle le soutient en mars, mais en juin 2014 ; que, par ailleurs, il résulte de l’instruction que Mme D. a été employée en qualité d’assistante familiale par une association, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée prenant effet à compter du 2 octobre 2012 et dans la limite du nombre d’enfants figurant dans son agrément (3 enfants) ; que dès lors si elle avait conservé la garde des deux enfants que le département de la Drôme lui a retirés en juillet 2012, son second employeur n’aurait pu lui confier qu’un seul enfant supplémentaire ; qu’il y a donc lieu de retrancher, de l’indemnité à laquelle elle a droit, les deux tiers des salaires qu’elle a perçus depuis octobre 2012 de la part de son second employeur, qu’elle chiffre à 1 193 euros nets mensuels, soit la somme de 33 404 euros (2/3x1193x42) ; qu’il en résulte que Mme D. ayant perçu un revenu supérieur d’environ 23 000 euros à celui auquel elle aurait pu prétendre si elle avait conservé la garde des deux enfants qui lui ont été illégalement retirés, ses conclusions tendant à la condamnation du département de la Drôme à l’indemnisation du préjudice matériel qu’elle soutient avoir subi doivent être rejetées ;
En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :
7. Considérant que Mme D. n’établit pas l’existence des troubles qu’elle soutient avoir subis dans ses conditions d’existence ; qu’il sera en revanche fait une juste appréciation de la souffrance morale qu’elle a ressentie à la suite du brusque retrait des deux enfants qu’elle accueillait en l’évaluant à la somme de 4 000 euros, tous intérêts compris ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du département de la Drôme une somme de 1 000 euros à verser à Mme D. ; que les conclusions du département de la Drôme, partie perdante, doivent être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : Le département est condamné à verser à Mme D. la somme de 4 000 euros tous intérêts inclus.
Article 2 : Le département de la Drôme versera à Mme D. une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.