Demande que l'Etat lui concède une pension de retraite majorée de la bonification pour enfant

Décision de justice
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Vu la requête enregistrée le 13 septembre 2010, présentée pour M. Alain X, par Me Madignier ;

 

M. X demande au Tribunal :

 

1°) d’annuler, le cas échéant, après avoir saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur la conformité du droit interne français en matière de bonification pour enfant à l’article 141 du Traité instituant la Communauté européenne, la décision du 13 juillet 2010 par laquelle le directeur du service des pensions de la Poste et de France Telecom a refusé de lui concéder une pension avec jouissance immédiate et majorée de la bonification pour enfants ;

 

2°) d’enjoindre au directeur du service des pensions ou à l’Etat :

- de réexaminer sa demande dans le délai d’un mois suivant la notification du présent jugement, sous astreinte journalière de 500 euros ;

- de lui concéder une pension de retraite majorée de la bonification pour enfant, outre intérêts au taux légal à compter de la radiation dont il aurait dû bénéficier et capitalisation à compter de sa première demande ;

 

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article    L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

            M. X soutient :

            - que les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite relatives au bénéfice de la jouissance immédiate de la retraite induisent une discrimination indirecte contraire au droit communautaire ;

            - que la loi de finance rectificative  du 31 décembre 2004 est d’effet rétroactif ;

            - que les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite relatives au bénéfice de la jouissance immédiate de la retraite et aux bonifications méconnaissent l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 

Vu la décision attaquée ;

 

Vu le mémoire enregistré le 11 octobre 2010, par lequel le service des pensions de la Poste et de France Telecom conclut au rejet de la requête ;

 

Le service des pensions de la Poste et de France Telecom fait valoir :

             - que l’article R. 37 du code des pensions ne méconnait pas l’article 141 du traité instituant la Communauté européenne ;

             - que le requérant ne peut justifier d’une interruption d’activité prévue par les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite pour bénéficier d’une retraite anticipée avec jouissance immédiate de la pension ;

 

Vu le mémoire enregistré le 14 mars 2011 par lequel M. X conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

 

Vu le mémoire enregistré le 29 décembre 2011 par lequel M. X conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;

 

Vu le mémoire enregistré le 23 février 2012 par lequel M. X soulève une question prioritaire de constitutionnalité ;

Vu l’ordonnance n° 1004052QPC du 5 avril 2012 par laquelle le président  de la 6ème chambre du Tribunal a refusé de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans la présente instance ;

Vu le mémoire enregistré le 22 octobre 2014 par lequel M. X conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens et soutient, en outre :

- que les articles L. 24 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite ne sont pas conformes aux stipulations de l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

- qu’au regard de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 juillet 2014, les conditions restrictives fixées par le code des pensions civiles et militaires de retraite doivent être écartées ;

 

Vu le mémoire enregistré le 19 février 2015 par lequel M. X conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

              Vu la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites et modifiant le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004 ;

 

Vu le décret n° 2003-1305 du 26 décembre 2003 pris pour l’application de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites et modifiant le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

 

Vu le décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 pris pour l’application de l’article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004 et modifiant le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

              Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 10 mars 2015 :

      - le rapport de M. Arbaretaz ;

      - les conclusions de M. Vial-Pailler, rapporteur public ;

      - et les observations de Me Madignier, pour M. X ;

 

            Sur les conclusions à fin d’annulation et d’injonction :

 

1. Considérant que par décision du 3 mai 2005, le directeur du service des pensions de retraite de La Poste et de France Telecom a rejeté la demande que lui avait présentée, le 29 avril 2005, M. X, fonctionnaire et père d’au moins trois enfants, tendant à la concession d’une pension de retraite avec jouissance immédiate majorée d’une bonification pour enfant ; que cette décision a fait l’objet d’un recours contentieux rejeté par jugement du Tribunal, lu le 19 janvier 2007, devenu définitif après refus d’admission du pourvoi en cassation ; que M. X a présenté, le 7 juillet 2010, un nouvelle demande, rejetée par la décision attaquée du 13 juillet 2010 ;

 

2. Considérant, en premier lieu et d’une part, qu’aux termes de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe (…) » ; qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (…) »; que ces stipulations prohibant toute discrimination fondée, notamment sur le sexe, sont applicables à la contestation de M. X qui porte sur un droit à percevoir un élément de rémunération ;

 

3. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 141 du traité instituant la Communauté européenne : « 1. Chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur (…) 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle » ; que par une décision n° C-366/99 du 29 novembre 2001, la Cour de  justice des Communautés européennes, statuant sur renvoi préjudiciel du Conseil d’Etat, a déclaré que les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans  le champ d’application de l’article 141 précité du traité instituant la  Communauté européenne et sont, dès lors, soumises au principe de l’égalité des rémunérations ;

 

4. Considérant, enfin, qu’aux termes de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction applicable à l’espèce, relatif au décompte des droits à pension : « Aux services effectifs s’ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d’Etat, les bonifications ci-après : (…) b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004 (…) et, sous réserve qu’ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt et unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l’article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires (…) bénéficient d’une bonification fixée à un an, qui s’ajoute aux services effectifs, à condition qu’ils aient interrompu leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 13 du même code : « Le bénéfice des dispositions du b de l’article L. 12 est subordonné à une interruption d’activité d’une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d’un congé pour maternité (…) d’un congé parental ou d’un congé de présence parentale (…) ou d’une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 24 du même code, dans sa rédaction applicable à la demande de M. X, relatif à l’entrée en jouissance des droits à pension : « I - La liquidation de la pension intervient : (…) 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants (…) à condition qu’il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 37 du même code : « I – L’interruption d’activité prévue au premier alinéa du 3° du I (…) doit avoir eu une durée continue au moins égale à deux mois et être intervenue alors que le fonctionnaire (…) était affilié à un régime de retraite obligatoire (…) Sont prises en compte pour le calcul de la durée d’interruption d’activité les périodes correspondant (…) à une interruption du service effectif, intervenues dans le cadre : a) Du congé pour maternité (…) b) Du congé de paternité (…) d) Du congé parental (…) f) D’une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans (…) » ;

 

5. Considérant qu’en se bornant à ouvrir droit à la jouissance immédiate de la pension ou à une bonification des droits à pension aux fonctionnaires qui ont interrompu leur activité pour éduquer leurs enfants, les articles L. 12 et L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite  précités du code des pensions civiles et militaires de retraite n’ont institué aucune discrimination contraire à l’article 141 précité du Traité instituant la communauté européenne ; qu’en revanche, la condition d’interruption d’activité professionnelle de deux mois retenue par les articles R. 13 et      R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite pour l’ouverture du droit à jouissance immédiate et à bonification de la pension est, pour les femmes, automatiquement acquise compte tenu du droit au congé de maternité au cours duquel, par ailleurs, le traitement de l’agent est maintenu, alors que, s’agissant des hommes, les congés dont ils peuvent bénéficier pour interrompre leur activité sont facultatifs et non rémunérés ; que, dès lors, les conditions d’octroi du bénéfice des avantages relatifs à la jouissance immédiate et de bonification de la pension des hommes induisent une différence de traitement entre travailleurs des deux sexes constitutive d’une discrimination indirecte en matière de rémunération, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne saisie d’une question préjudicielle, dans sa décision n° C-173/13 du 17 juillet 2014, sauf à ce que les dispositions réglementaires en cause reposent sur des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe ;

 

6. Considérant que si, pendant son congé de maternité, la femme fonctionnaire conserve légalement ses droits à avancement et à promotion et qu’ainsi la maternité est normalement neutre sur sa carrière, il ressort de l’ensemble des pièces produites par l’administration et des données disponibles qu’une femme ayant eu un ou plusieurs enfants connaît, de fait, une moindre progression de carrière que ses collègues masculins et perçoit en conséquence une pension plus faible en fin de carrière ; que les arrêts de travail liés à la maternité contribuent à empêcher une femme de bénéficier des mêmes possibilités de carrière que les hommes ; que de plus, les mères de famille ont dans les faits plus systématiquement interrompu leur carrière que les hommes, ponctuellement ou non, en raison des contraintes résultant de la présence d’un ou plusieurs enfants au foyer ; qu’ainsi, selon les données d’une étude statistique du service des retraites de l’Etat, si une femme fonctionnaire sans enfant perçoit à la fin de sa carrière une pension moyenne supérieure de 2,6 % à celle des hommes également sans enfant, les femmes avec enfants perçoivent en moyenne des pensions inférieures à celles des hommes ayant le même nombre d’enfants ; que ces écarts entre les pensions perçues par les femmes et les hommes s’accroissent avec le nombre d’enfants ; que les pensions des femmes fonctionnaires, rapportées à celles des hommes, sont ainsi inférieures de 9,8 % pour un enfant, de 11,5 % pour deux enfants, de 13,3 % pour trois enfants et de 23 % pour quatre enfants ; que si la bonification par enfant était supprimée, les écarts passeraient à 12,7 % pour un enfant, 17,3 % pour deux enfants, 19,3 % pour trois enfants et à près de 30 % pour quatre enfants ; que le niveau de la pension ainsi constaté des femmes ayant eu des enfants résulte d’une situation passée, consécutive à leur déroulement de carrière, qui ne peut être modifiée au moment de la liquidation ; que cette bonification n’a pas pour objet et ne pouvait avoir pour effet de prévenir les inégalités sociales dont ont été l’objet les femmes mais de leur apporter, dans une mesure jugée possible, par un avantage de retraite assimilé à une rémunération différée au sens de l’article 141 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une compensation partielle et forfaitaire des retards et préjudices de carrière manifestes qui les ont pénalisées ;

 

7. Considérant que par la loi du 9 novembre 2010, le législateur a procédé à l’extinction progressive de l’entrée en jouissance immédiate de la pension pour les parents d’au moins trois enfants ; que ce faisant, il a entendu non pas prévenir les inégalités de fait entre les hommes et les femmes fonctionnaires dans le déroulement de leur carrière et leurs incidences en matière de retraite telles qu’exposées au considérant 9, mais compenser à titre transitoire ces inégalités normalement appelées à disparaître ; que dans ces conditions, la disposition litigieuse relative au choix d’un départ anticipé avec jouissance immédiate, prise, pour les mêmes motifs que la bonification pour enfant prévue par les dispositions combinées des articles L. 12 et R. 37, afin d’offrir, dans la mesure du possible, une compensation des conséquences de la naissance et de l’éducation d’enfants sur le déroulement de la carrière d’une femme, en l’état de la société française d’alors, est objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale, qu’elle est propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet ; que par suite, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe d’égalité des rémunérations tel que défini à l’article 141 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

 

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’exception d’inconventionnalité des articles L. 12, L. 24, R. 13 et R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite doit être écartée ;

 

9. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ne résulte pas des pièces du dossier que M. X ait interrompu son activité pour élever ses enfants ; qu’il ne peut donc prétendre au bénéfice d’une retraite anticipée bonifiée avec jouissance immédiate ; que les dispositions non discriminatoires de l’article L. 24 précité du code des pensions civiles et militaires de retraite ne peuvent lui ouvrir droit à la concession d’une pension à jouissance immédiate ni, par voie de conséquence, à la bonification de l’article L. 12 sur une pension qu’il n’a pas vocation à percevoir ;

 

10. Considérant, en troisième lieu, que les droits à pension s’apprécient à la date à compter de laquelle le fonctionnaire demande à bénéficier de cette pension, soit le 7 juillet 2010 ; qu’il en résulte que les droits à pension de M. X relèvent des dispositions législatives et réglementaires applicables au 7 juillet 2010 ; que cette date étant postérieure à l’entrée en vigueur de l’article L. 24 précité du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificatives du 30 décembre 2004, il n’a été fait aucune application rétroactive de ces dispositions ;

 

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. X n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 13 juillet 2010 par laquelle le directeur du service des pensions de la Poste et de France Telecom a refusé de lui concéder une pension avec jouissance immédiate et majorée de la bonification pour enfants ; que les conclusions susmentionnées de la requête doivent être rejetées ;

 

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

12. Considérant que les conclusions de M. X, partie perdante, doivent être rejetées ;

 

 

D E C I D E :

 

 

Article 1er : La requête susvisée de M. X est rejetée.

 

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. Alain X, au ministre des finances et des comptes publics et au ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.